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Dix ans après l’Accord de Paris : la transition écologique sous pression – Entretien avec Laurence Tubiana, diplomate, présidente de la Convention citoyenne pour la transition écologique, professeure et directrice de la chaire Développement Durable, IEP de Paris.

Posté par Revue Risques | décembre 2025 | Entretien, N° 144

Dix ans après l’Accord de Paris : la transition écologique sous pression – Entretien avec Laurence Tubiana, diplomate, présidente de la Convention citoyenne pour la transition écologique, professeure et directrice de la chaire Développement Durable, IEP de Paris.
Entretien réalisé par Jean-Hervé Lorenzi, Gilles Bénéplanc, Pierre Bollon et Pierre-Charles Pradier

Risques : L’Accord de Paris célèbre son dixième anniversaire. En quoi ce texte est-il historique ?

Laurence Tubiana : L’Accord de Paris marque un tournant, celui de la prise de conscience par tous les États de la nécessité d’agir en profondeur sur le front environnemental. Cela, avec des objectifs s’inscrivant sur le temps long, à commencer par la stabilisation des températures à horizon 2100 et la réduction des émissions pour atteindre le net zéro en 2050. Contrairement à la logique qui a prévalu lors du protocole de Kyoto en 1997, lequel assignait de façon verticale des obligations aux États, l’Accord de Paris permet à chaque pays de présenter un plan avec des objectifs révisés tous les cinq ans (on parle aussi de contributions). L’idée étant que, progressivement, chacun aille un peu plus loin dans les mesures et les efforts visant à décarboner notre économie et notre mode de vie.

Risques : Quels résultats l’Accord de Paris a-t-il déjà produits ?

Laurence Tubiana : La nécessité de transformer notre modèle a été accueillie très favorablement. Aujourd’hui, 195 pays disposent d’une loi climat et ont transposé des mesures de l’Accord de Paris dans leur droit national. Si certaines dispositions sont perfectibles ou ne vont pas assez loin, la prise de conscience est bel et bien là. Ce volontarisme salutaire concerne l’écrasante majorité des pays du monde. L’Accord de Paris a instauré une dynamique vertueuse dont nous mesurons aujourd’hui les effets positifs, à commencer par la diminution du coût des batteries et des véhicules électriques ou encore l’électrification des transports publics. Signe que les efforts s’intensifient, pour la deuxième année d’affilée, les investissements dans les énergies renouvelables représentent deux fois les investissements dans les énergies fossiles. Nous sommes dans la bonne direction. Ce texte est également devenu une référence pour des acteurs qui ne sont pas des gouvernements. En effet, il a insufflé cette dynamique vertueuse également auprès des industriels, des investisseurs, des fonds de pension. Par exemple, dans le secteur industriel, nous assistons au développement de l’acier vert qui permet d’éviter de recourir à des combustibles fossiles en les remplaçant par de l’hydrogène. Cette tendance se manifeste aussi bien en Europe qu’en Chine ou en Inde.

On constate également que les citoyens se sont emparés de l’Accord dont ils ont bien compris qu’il visait à les protéger ainsi que les générations futures. C’est ainsi que différentes associations ont agi devant les juridictions nationales, parfois au niveau constitutionnel, contre les gouvernements manquant à leurs engagements sur le sujet. Aujourd’hui, on ne recense pas moins de 1 500 actions portées en justice. Cela concerne aussi bien des entreprises que des gouvernements, parfois avec des condamnations à la clé. La cour constitutionnelle de Karlsruhe a ainsi sanctionné le gouvernement allemand au motif qu’il n’avait pas respecté les engagements issus de l’Accord de Paris. C’est un signal très fort. La COP 21 est une belle réussite qui doit nous engager pour la suite car chacun sait l’ampleur du défi. Une étude récente du Lancet a établi que 546 000 personnes sont mortes à cause de la chaleur chaque année entre 2012 et 2021. Et cela ne concerne pas seulement les personnes âgées ou vulnérables. Il y a urgence à agir et à intensifier tous les efforts à l’échelle internationale, nationale et locale.

Risques : L’Accord de Paris prévoyait une baisse de 40 % de nos émissions brutes d’ici à 2030. Allons-nous y parvenir ?

Laurence Tubiana : Si cet objectif paraît ambitieux, il n’en demeure pas moins atteignable. Tout va dépendre des choix du gouvernement chinois qui est en ce moment pleinement engagé dans la course à l’intelligence artificielle et la construction de data centers, qui, par nature, sont très énergivores. Dans les prochains mois, nous devrons suivre de très près la stratégie de la Chine sur la sortie du charbon, lequel représente encore 60 % de sa production d’électricité

Risques : Quelles sont les éventuelles faiblesses de ce texte ?

Laurence Tubiana : J’ai tendance à dire que le principal défaut de l’Accord de Paris, c’est d’être intervenu un peu tardivement. Il est illusoire de penser que l’on peut réorienter de façon aussi structurelle l’économie mondiale en dix ans seulement. Si les Chinois ont réalisé autant de progrès, c’est bien parce qu’ils ont engagé leurs premiers efforts non pas en 2015 mais dès 2010. Deuxième écueil, l’Accord prévoit des mécanismes de révision des engagements pris tous les cinq ans. C’est sans doute trop peu à l’égard de l’ampleur des transformations à réaliser et au peu de temps dont nous disposons pour les mener à bien.

Risques : Depuis 2015, le monde a connu des chocs importants. Dans quelle mesure ont-ils pesé sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris ?

Laurence Tubiana : J’identifie principalement trois chocs. D’une part, la crise du Covid, venue réveiller des antagonismes que l’on était parvenu à apaiser à la faveur de l’Accord de Paris. La fermeture des frontières et des échanges commerciaux a retendu la diplomatie. Par ailleurs, fortement mobilisés par la crise sanitaire, les États n’ont pu consacrer suffisamment de temps à la révision de leur contribution nationale prévue pour 2020. Un second choc est survenu: l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le pétrole est alors redevenu un sujet géostratégique. Le secteur pétrolier en a profité pour faire valoir le fait qu’il constituait un horizon indépassable. En l’espace d’un an, les profits du secteur pétrolier et gazier ont été multipliés par quatre. D’ailleurs, pas moins de trois COP ont eu lieu dans des pays pétroliers : à Charm el-Cheikh(Égypte), à Dubaï(Émirats arabes unis) et à Bakou(Azerbaïdjan). Le secteur pétrolier a fortement pesé sur les négociations au cours de ces trois COP en essayant de ralentir le recul des hydrocarbures préconisé par l’Accord de Paris. Selon moi, un troisième choc a eu lieuavec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. On connaît son hostilité marquée à l’égard de la transition écologique, qu’il perçoit comme un frein au renouveau économique des États-Unis. Au-delà des choix idéologiques du président américain, il ne faut pas oublier que sa campagne a été largement financée par le secteur du pétrole et du gaz…

Risques : Qu’attendre de la COP 30 ?

Laurence Tubiana : Ce n’est un secret pour personne: un certain flou entoure la COP30. Nous savons que les États-Unis souhaitent obtenir l’annulation de l’Accord de Paris et faire en sorte que tous les pays en sortent. D’ailleurs, le gouvernement américain a fait savoir qu’aucun de ses représentants ne serait présent au Brésil. Bien entendu, l’objectif de ce nouveau sommet n’est pas de bâtir un nouvel Accord de Paris qui offre une colonne vertébrale et un cap pour les années à venir. Toutefois, il peut offrir l’occasion d’en améliorer la mise en œuvre, pourquoi pas avec la création de structures assurant le rapprochement et la coordination des différents maillons de la chaîne: États, entreprises, collectivités locales. Je suis convaincue qu’il faut se saisir d’un enjeu prioritaire: le méthane. Si ce gaz a une durée de vie relativement courte, il dispose d’un pouvoir de nuisance 80fois plus important en termes de réchauffement que le carbone. Or, on peut s’en affranchir assez facilement dans certains secteurs, notamment dans le secteur pétrolier, avec l’exemple de l’entreprise émiratie ADNOC qui souhaite se passer du méthane d’ici 2030. Ce n’est pas tout, on peut également s’en affranchir dans le monde agricole et dans tout ce qui concerne la gestion de nos déchets. Étant donné que la COP se passe au Brésil, la question de la forêt y occupera une place centrale. Il y sera question de la création d’un fonds dédié à la lutte contre la déforestation dans les zones de forêts primaires, mais pas seulement en Amazonie; seront également concernées des régions comme le bassin du Congo.

Risques : Quel rôle pour l’assurance dans la transition écologique ?

Laurence Tubiana : Les assureurs ont un rôle fondamental à jouer sur ce sujet. Comme ils réalisent des études chiffrées sur l’évolution des phénomènes climatiques, ils sont en mesure de sensibiliser l’opinion publique, de davantage éveiller les consciences. Le secteur a également une mission précieuse à jouer dans la prévention et la protection. Si les assureurs ne couvrent pas, qui les couvrira? Les États doivent entretenir un dialogue étroit avec les assureurs. J’ai même tendance à penser qu’il faudrait une task force réunissant gouvernements, banquiers centraux, assureurs pour construire des politiques de résilience face au changement climatique. Cette task force pourrait également mener une réflexion stratégique sur le partage des risques;

Risques : La transition écologique ne fait pas l’unanimité au sein de notre société. Dans quelle mesure ses détracteurs se font-ils entendre ?

Laurence Tubiana : Le climat est le sujet le plus ciblé par les trolls et les actions de désinformation. Ces attaques émanent principalement de la Russie et des États-Unis. Nous avons remarqué que ces discours ne se diffusaient pas à n’importe quel moment mais obéissaient à une réelle stratégie de manipulation. Ils sont portés à des moments précis pour parasiter le débat et orienter l’opinion publique dans une certaine direction. On a assisté à ce phénomène lors des manifestations des agriculteurs en2024. Des trolls russes organisés et très actifs ont alors opéré massivement et nourri la colère des agriculteurs. Lorsqu’on s’intéresse de plus près à ces discours, on s’aperçoit qu’ils nient l’existence du réchauffement climatique ou bien pointent du doigt les solutions trouvées par les pouvoirs publics. Ainsi, on a observé la diffusion de campagnes de désinformation contre les véhicules électriques et les éoliennes. Parfois, ces discours franchissent un cap dans l’irrationnalité, notamment lorsqu’ils expliquent que les grandes tempêtes ou les inondations sont déclenchées par une oligarchie qui souhaite placer la question climatique au cœur du débat. À ces attaques souterraines – mais qui disposent d’un vrai pouvoir de nuisance – s’ajoute la ritournelle climatosceptique portée par le gouvernement russe. N’oublions pas que lorsque Poutine a envahi l’Ukraine, il a déclaré que la crise que traversait l’Europe était due au fait qu’elle s’orientait vers les énergies renouvelables. Il faut toutefois garder raison quant à l’impact du climatoscepticisme sur les esprits. Le baromètre européen de2025 montre que 85% des citoyens européens sont anxieux et souhaitent des actions concrètes en faveur du climat. Un chiffre très élevé et qui bat en brèche l’idée d’un désintérêt de nos concitoyens sur le sujet, voire d’un backlash.

Risques : Quels sont les axes prioritaires d’amélioration côté européen pour ces prochains mois ?

Laurence Tubiana : L’Europe dispose d’axes d’amélioration importants. Aujourd’hui, on peut regretter que le coût de l’énergie reste si élevé et que l’électrification renouvelable ne soit pas suffisamment compétitive. Nous sommes encore trop dépendants de la Chine sur la conception des technologies vertes. Il est urgent de réaliser des progrès rapides et significatifs pour réduire cette dépendance. Il va falloir faire preuve de vigilance collectivement car le centre de gravité politique de l’Europe s’est déplacé vers les conservateurs qui souvent défendent des positions hostiles à la transition écologique. Certains pourraient être tentés de s’aligner sur l’agenda politique de Trump qui privilégie la dérégulation. Il faut bien avoir à l’esprit que certains secteurs souhaitent tirer profit de cette séquence pour infléchir le cours des choses. Cette tentation peut être grande chez certains acteurs de l’automobile, notamment au regard de la perspective de la fin des ventes de voitures thermiques en Europe à horizon2035. Le Brésil s’est vanté de pouvoir conserver les voitures à essence en arguant du fait qu’il disposait de ressources en bioéthanol. Résultat, il y a beaucoup de véhicules électriques chinois dans les grandes villes brésiliennes. La généralisation des véhicules électriques correspond au sens de l’histoire. Vouloir échapper à cette lame de fond, c’est non seulement aggraver la situation climatique mais également s’exposer à des revers économiques considérables. De façon globale, et cet effort doit être continu, il faut que l’on travaille sur l’élaboration des récits pour rassurer, mobiliser, fédérer. La positivité du changement induit par la transition écologique doit être centrale dans ce narratif. Il y a une belle énergie qui émane aujourd’hui de la société civile, sur laquelle nous devons impérativement capitaliser pour poursuivre les efforts. Il faut aller encore plus loin dans la logique horizontale, nous devons associer de plus en plus les citoyens à la prise de décision.

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