La question territoriale s’impose aujourd’hui comme un défi majeur du modèle français. Depuis plusieurs décennies, la répartition de la population, de l’emploi et des richesses s’est profondément transformée, dessinant une géographie contrastée où coexistent zones de forte attractivité et espaces en déprise. La concentration des activités économiques et des services dans les grandes métropoles, amorcée dès la fin du XXe siècle, s’est accentuée avec la mondialisation, le développement des infrastructures de transport et la montée en puissance de l’économie de la connaissance. Dans le même temps, une part croissante du territoire national a vu décliner sa population active, ses services publics et son tissu industriel, accentuant le sentiment d’abandon ressenti dans certaines régions rurales ou périurbaines.
Les crises récentes ont renforcé ces disparités. La pandémie de Covid-19 a, pour un temps, semblé inverser la tendance, en favorisant un retour relatif vers des territoires moins denses ; mais cette recomposition est demeurée limitée. L’inflation, la hausse du coût du logement et la raréfaction des services de proximité ont à nouveau creusé l’écart entre centres métropolitains et périphéries. À cela s’ajoute la contrainte environnementale : le réchauffement climatique, la sécheresse, l’érosion du littoral, la raréfaction de la ressource en eau ou la fréquence accrue des catastrophes naturelles imposent de repenser l’occupation du sol, la production agricole, les modes de transport et l’habitat. La carte des risques climatiques – inondations, feux de forêt, retrait-gonflement des argiles ou stress hydrique – se superpose désormais à celle des vulnérabilités économiques et sociales, plaçant les territoires au cœur d’enjeux à la fois écologiques, financiers et humains.
L’État, confronté à la double exigence de cohésion et d’efficacité, a cherché à rééquilibrer ces dynamiques par des politiques d’aménagement, de décentralisation et de péréquation financière. Mais ces mécanismes atteignent leurs limites dans un contexte de raréfaction des ressources publiques et de fragmentation institutionnelle. Les collectivités locales, de leur côté, doivent concilier attractivité économique, résilience climatique et inclusion sociale, tout en supportant une part croissante du financement des infrastructures et de la protection contre les risques. L’équilibre entre solidarité nationale et autonomie locale devient de plus en plus difficile à maintenir, d’autant que la fiscalité territoriale, longtemps fondée sur la propriété et les entreprises, évolue plus lentement que la réalité des mobilités et des usages.
La cohésion territoriale ne se réduit pas à un enjeu d’aménagement. Elle engage la capacité collective à maintenir la confiance dans l’action publique et à offrir des perspectives d’avenir dans l’ensemble du pays. Le délitement du lien territorial nourrit en retour la défiance politique ; inversement, la vitalité locale peut redevenir un facteur de cohésion démocratique. Les territoires sont ainsi devenus un miroir des tensions françaises : entre métropolisation et proximité, entre attractivité et désertification, entre solidarité et concurrence.
Pour le secteur de l’assurance, ces mutations revêtent une importance croissante. L’exposition différenciée des territoires aux risques naturels, technologiques ou sociaux oblige à repenser les modèles de couverture et de mutualisation. La sinistralité liée aux événements climatiques s’intensifie, notamment dans les zones littorales, les vallées inondables et les régions touchées par la sécheresse, tandis que la vulnérabilité financière des collectivités augmente. Les infrastructures critiques, les logements sociaux ou les entreprises implantées hors des grands centres font face à des risques spécifiques qui nécessitent des solutions adaptées. L’assurance, qu’elle soit publique ou privée, se trouve ainsi au croisement des politiques de prévention, de solidarité et de relance économique. Le dossier présenté ici tente de cerner les mutations les plus marquantes du territoire
français et les déséquilibres qui en résultent ; d’analyser la capacité de l’action publique à en corriger les effets ; enfin, d’évaluer les réponses économiques et assurantielles susceptibles de contribuer à restaurer la cohésion et la résilience des territoires face aux risques
de demain.
