Depuis la fin de la mondialisation hyperintégrée qui a marqué les dernières décennies, on observe une transformation en profondeur de l’économie mondiale. Ce changement s’explique par plusieurs tendances comme la reconfiguration des chaînes de valeur, les tensions géopolitiques, les différences croissantes entre systèmes réglementaires ou technologiques, et une attention renforcée à la souveraineté économique. À cela s’ajoute l’urgence climatique, qui pousse à relocaliser certaines activités et à repenser les politiques industrielles dans une optique de résilience.
Dans une économie fragmentée, les chaînes d’approvisionnement deviennent plus régionales, souvent segmentées en fonction d’alliances politiques ou économiques. Les logiques d’optimisation globale cèdent la place à des stratégies de proximité – le « friendshoring » ou le « nearshoring » – avec une volonté croissante des États de protéger leurs intérêts, sécuriser certaines technologies ou maîtriser les investissements étrangers.
Cette évolution a des impacts directs sur le monde de l’assurance. D’abord, le profil des risques change. Là où la mondialisation favorisait la diversification, la fragmentation crée des risques plus concentrés et parfois plus soudains : blocages logistiques, restrictions réglementaires, conflits géopolitiques, cyberattaques étatiques, défauts de paiement transfrontaliers… Dans ce contexte, la modélisation des risques systémiques devient plus complexe.
Ensuite, les modèles opérationnels des acteurs de l’assurance sont mis à l’épreuve. La standardisation qui permettait de gérer les risques à grande échelle et bénéficier de leur mutualisation s’efface progressivement. Chaque pays peut devenir un cas particulier avec ses propres règles et contraintes. Certains pays imposent désormais de garder le capital, les données ou la gestion des sinistres sur leur territoire. Cela oblige à une connaissance fine de chaque marché, à revoir la localisation du capital, la conformité réglementaire, ou encore les réseaux de distribution.
Mais cette fragmentation n’est pas que source de contraintes. Dans un monde plus instable, les entreprises cherchent des partenaires fiables, capables de les accompagner au-delà de la simple couverture classique des risques. Les assureurs peuvent donc jouer un rôle clé en les aidant à comprendre, anticiper, modéliser, voire à transformer leurs stratégies face à des risques complexes. Des sujets longtemps considérés comme secondaires – risques politiques, interruptions d’activité dues aux tensions internationales, cybersécurité souveraine – deviennent désormais centraux.
Enfin, dans cet environnement de plus en plus incertain, le dialogue avec les autorités, les régulateurs ou les banques centrales devient essentiel. Il permet aux assureurs d’être force de proposition pour co-construire des cadres adaptés aux nouveaux enjeux systémiques, qu’ils soient politiques, climatiques ou numériques.
En résumé, la fragmentation de l’économie mondiale n’est pas seulement un défi. C’est aussi une incitation à repenser en profondeur le rôle de l’assurance : plus stratégique, plus ancrée dans les réalités locales, et plus agile face à l’incertitude.